GALERIE BOA
Art Contemporain

JAVIER BALMASEDA
Né à Cienfuegos, à Cuba, un 25 décembre 1971, d’une mère institutrice
et d’un père mécanicien, Javier Balmaseda témoigne
une vocation précocement déclarée. Dès 1983, il commence
à suivre des cours à l’Ecole élémentaire d’Art Plastique de
sa ville où il acquiert les bases des différents modes d’expression
plastique, tout en manifestant déjà un intérêt pour
la troisième dimension. A l’âge de quatorze ans, il entre sur
concours à l’Ecole Nationale des Arts Plastiques à la Havane.
Deux ans après il intègre l’Institut Supérieur d’Art de la
Havane. A partir du 28 août 1990, il effectue son service militaire
qui durera deux ans au lieu de trois. Une expérience qui,
contre toute attente, lui permet de réfléchir sur la condition
humaine, qui deviendra une des sources de son travail
d’artiste.
La signification d’une œuvre vient autant de son contexte que
de sa composition. La mondialisation de l’image ne saurait suggérer
une uniformité sémantique et l’art du Cubain ne peut
être envisagé hors de son contexte légitimaire.
Les bâtiments de Nappe dell’Arsenale, ont accueilli à l’occasion
de la 55e Biennale de Venise en 2013 une installation
composée de dix chevaux plus vrais que nature mais dont les
membres ont été sectionnés et remplacés par des amortisseurs
hydrauliques de voitures ! L’artiste affirme tout haut
son propos : montrer la face la plus sombre de l’être humain
certes, mais en considérant le système social comme « un paradoxe
et une imposture » pouvant transformer l’homme en «
un assassin et un bourreau ». Tout dépend finalement de son
environnement social et culturel.
Le jeune Balmaseda a assisté dans son île natale à des exactions
commises contre des chevaux que l’on amputait dans la
précipitation, parfois encore vivants, pour se procurer de
la viande et ne pas mourir de faim… Ces raids d’une violence
inouïe avaient reçu l’appellation « quitar las ruedas », littéralement
enlever les roues. Il était, en effet, fréquent de voir
des voitures dans certaines rues qui reposaient sans leurs
roues sur des éléments de construction. L’histoire dont s’est
saisi Balmaseda peut être perçue au premier degré dans sa
cruauté originelle. Cependant l’œuvre n’a pas été produite
dans l’ordre de la sensation, l’artiste cubain insiste beaucoup
sur ce point. Comme toute œuvre qui dérange, celle-ci
désigne les territoires les moins avouables de nous-mêmes
tout en puisant sa force dans la réalité d’une époque.
Mais l’artiste a su prendre ses distances et conserver son
bien le plus précieux : l’intégrité de sa force vitaliste. Et ce
n’est pas à chaud qu’il a fait traverser le miroir à une terrible
réalité, tel un Picasso lorsqu’il a peint Guernica à propos
des atrocités de la guerre, avec pour sujet central un
cheval transpercé par une lance se tordant de douleur. Impossible
aussi de ne pas évoquer le troupeau de chevaux qui
se retrouvent piégés, la nuit, dans un lac qui se recouvre de
glace, un spectacle que Malaparte décrit admirablement
dans Kaputt, ce livre fou et magnifique.
Javier Balmaseda, c’est tout d’abord une trajectoire existentielle
unique, un long périple dans la précarité, mais aussi
une vie entièrement dédiée à l’art. L’art est sa raison de vivre
et rien n’a pu contrarier cet acharnement à créer même si
les aléas de son destin personnel ont été ponctués par des
temps ingrats. Cependant, lorsque l’on est en présence de cet
homme jeune et charismatique, toujours prêt à laisser éclater
un rire sonore, on a du mal à l’imaginer développant une
œuvre empreinte par le seul désespoir.
Un dessin gouverné par une maîtrise des noirs et des blancs,
un graphisme puissant et charbonneux, élaborent des images
qui accompagnent toujours la charpente théorique et
conceptuelle de ses installations, véritables réceptacles de
sa réflexion. J’ai eu le privilège de voir les dessins d’œuvres
exécutées au début des années quatre-vingt-dix, comme « Les
blindés » ou « Ce que je veux c’est manger » où sont évoquées
les questions sociales par le biais de la force conceptuelle
des objets. En 1995, il présente son « Hommage à Mondrian
» un merveilleux patchwork de plateaux de cantine en fer
blanc. En 1997, pendant ses études à l’Institut Supérieur d’Art
de la Havane, il réalise « La vie se promène » et « Coups durs
de la vie », des modules d’une voiture découpée tel un puzzle
en trois dimensions.
Mais il commence alors à se sentir à l’étroit dans le contexte
de l’art cubain. C’est l’époque du grand saut vers l’Europe
qui s’avèrera être un séjour de cinq ans en Andorre, cette
principauté qu’il n’a plus le droit de quitter administrativement
sous peine d’être renvoyé manu militari à Cuba… Il a
quand même eu le temps d’exposer « Solides paravents » en
France, une installation de grande dimension, une accumulation
d’objets quotidiens en maille métallique habitée par une
multitude de souris vivantes. Une réflexion sur cette société
de consommation à laquelle il est maintenant confronté.
En 2001, il participe aux Ateliers de la Massana et conçoit «
Aujourd’hui tout m’est indifférent », une bastide construite
avec des os, où il fait référence aux différentes étapes de
sa trajectoire artistique et personnelle. En 2007, le Musée
Bolivarien d’Art Contemporain de Colombie l’invite à exposer
avec Kcho et Carlos Chacin. Il y présente « Le plaisir de rester
immobile », un morceau de route en bitume, qui constitue
un hamac de quatorze mètres de long.
On le voit avec cette sélection non exhaustive, difficile
d’être guetté par l’ennui et la grisaille de l’habitude avec
cette œuvre qui ne risque pas de se scléroser sous le poids
de la répétition ou de la recette routinière. En fait, chaque
œuvre réalisée comme si c’était la dernière, représente une
plus-value vitale pour Balmaseda. Il y a chez cet artiste qui
semble ébloui par tout ce qu’il a envie de nous montrer, une
exaltation progressive dans sa démarche et une libération
conséquente dans sa vision.
Après avoir exposé son installation de Venise à la Galerie
Beaudoin Lebon dans le cadre de la foire Art Elysées, c’est
au tour de la Galerie BOA de montrer des œuvres de l’artiste
cubain à Paris. La Galerie de la rue d’Artois nous présente
en ce printemps 2015 une vingtaine de dessins illustrant les
nouvelles installations de l’artiste (Vias y Soluciones, 2013
; Solidos Aparentes, 2013 ; Instinct of Preservation, 2014) qui
a depuis introduit la couleur dans son œuvre, fait nouveau
chez le jeune Cubain...
Henry Périer
Docteur en Histoire de l’art




